Phase III : les programmes d’application thérapeutique

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Phase III : les programmes d’application thérapeutique

 

A partir de 2010, le développement d’I-Stem s’est poursuivi sur la base d’un effectif stabilisé (entre 70 et 80 collaborateurs) atteint en 2009. L’objectif prioritaire mis en avant dans ce plan stratégique était la préparation du passage à l’essai clinique des résultats obtenus en pré-clinique par les équipes d’I-Stem. Il s’agissait donc précisément d’une phase de « recherche translationnelle ».

  • En ce qui concerne la thérapie cellulaire, nous avons utilisé trois grands types de protocoles permettant de produire de façon efficace des cellules de l’épiderme, des neurones du striatum et de l’épithélium pigmentaire rétinien. La recherche translationnelle a cherché à établir les conditions pour que, sans perdre en efficacité, ces cellules puissent être implantées – respectivement chez des patients atteints d’ulcération cutanée liée à la drépanocytose (programme PACE), de maladie de Huntington (programme HD-repair) et de rétinites pigmentaires (programme STREAM) – dans le respect optimal de la sécurité.
  • En ce qui concerne la découverte de médicaments, plusieurs mécanismes moléculaires impliqués dans diverses pathologies ont été révélés par nos études de cellules dérivées de lignées ES ou iPS. Nous recherchons sur ces modèles la normalisation de ces mécanismes pathologiques à l’aide de composés chimiques en utilisant les techniques de criblage de médicaments que nous avons importées du monde industriel. L’identification de composés efficaces in vitro permet, après vérification chez des modèles animaux pertinents, d’envisager la mise en place d’un essai clinique. C’est ce que nous avons pu réaliser avec succès pour la Metformine, médicament anti-diabétique dont l’effet correcteur avait été observé sur des cellules porteuses d’une mutation responsable de la myotonie dystrophique de type I (résultats expérimentaux publiés en 2015, résultats de l’essai clinique MYOMET publiés en 2018).

Au cours de la période de 5 ans couverte par ce plan stratégique, nous avons pu élaborer quelques grands principes sur lesquels fonder de façon stable notre activité, que nous détaillons ci-dessous.

Modèles cellulaires humains

La découverte de protocoles permettant d’orienter la différenciation des cellules souches pluripotentes humaines vers un destin cellulaire précis a été un objectif prioritaire des équipes d’I-Stem pendant les dix premières années de fonctionnement de l’Institut, parce que l’accès à ces cellules déterminait clairement notre capacité à les utiliser pour nos approches de thérapie cellulaire, de modélisation des pathologies et de pharmacologie des maladies monogéniques. Cette recherche a été fructueuse avec la mise au point de protocoles spécifiques pour de nombreuses populations neuronales spécifiques, des astrocytes, des cellules de la rétine, les muscles lisses de la paroi vasculaire, les cellules souches mésenchymateuses, les cellules musculaires squelettiques, les kératinocytes et les mélanocytes de l’épiderme, les fibroblastes dermiques. Cet aspect de notre activité diminue toutefois progressivement, les protocoles étant à présent pour beaucoup disponibles soit en interne soit par importation de protocoles développés par d’autres équipes.

Nous travaillons depuis l’origine sur les cellules souches embryonnaires (ES) et, depuis leur apparition à la fin 2007, sur les cellules induites à la pluripotence (iPS). Ces deux populations de cellules souches pluripotentes humaines présentent les caractéristiques cardinales qui en fondent l’intérêt, la capacité à proliférer à l’identique (chaque cellule-mère donnant naissance à deux cellules-filles identiques à la première) de façon illimitée, sans jamais entrer en sénescence comme le font toutes les autres cellules de l’organisme, et la capacité, dans d’autres conditions de culture, à se différencier pour donner naissance à n’importe lequel des phénotypes cellulaires de l’organisme. ES et iPS ne sont cependant pas entièrement similaires et les études comparatives montrent que les cellules iPS – OGM cellulaires produits à partir de cellules adultes par transfert de gènes codant pour des protéines agissant directement au niveau de l’ADN – présentent un certain nombre de caractéristiques qui les rendent potentiellement moins fiables pour les études que nous menons, obstacle que nous contournons en multipliant les contrôles, notamment grâce à l’utilisation des techniques d’édition du génome par CRISPR/Cas.

Nous avons besoin d’obtenir des populations cellulaires spécifiques de façon homogène, ou au moins très prédominantes. Le problème n’est pas trivial et la plupart des équipes qui travaillent aujourd’hui sur les cellules souches pluripotentes ne se le posent pas de la même façon que nous parce qu’elles restent sur le terrain de la recherche d’amont. L’homogénéité des populations cellulaires est pour nous une obligation parce qu’elle est indispensable pour réaliser des études comparatives de mécanismes moléculaires subtiles, comme ceux que nous explorons à la recherche des anomalies liées aux maladies génétiques ou des effets potentiellement thérapeutiques des agents pharmacologiques que nous testons. Elle est aussi nécessaire dans les préparations cellulaires destinées à des applications thérapeutiques, qui doivent répondre très précisément aux contraintes de contrôle-qualité réglementaires.

Modèles de maladies génétiques et approches pharmacologiques

La création de modèles cellulaires des maladies monogéniques, analysables in vitro à la demande, est au cœur de l’activité d’I-Stem depuis l’origine. D’abord uniquement appuyée sur les rares lignées de cellules ES issues d’embryons du DPI, cette activité s’appuie également depuis 2008 sur des lignées iPS qui permettent d’accéder à n’importe laquelle des pathologies. Les pathologies explorées ces dernières années par des équipes d’I-Stem sont très diverses, myotonie dystrophique de type 1, myopathie de Duchenne, diverses myopathies des ceintures, amyotrophie spinale infantile, maladie de Huntington, syndrome autistique de Phelan McDermid, syndrome de Lesch Nyhan, épidermolyse bulleuse simplex, neurofibromatose de type 1, progeria, syndrome de Wolfram, des rétinites pigmentaires, adenomatosis polyposis coli…

Le principal fondement de notre activité de modélisation pathologique est la comparaison multi-paramétrique, morphologique, génique, protéique et fonctionnelle, de cellules différenciées exactement de la même façon à partir de lignées issues de patients et de contrôles réputés sains, ou créés par édition du génome grâce aux outils CRISPR (contrôles dits « isogéniques »). Ces comparaisons doivent nous permettre d’identifier des anomalies potentiellement dues à la présence de la mutation, ce que nous vérifions grâce à une batterie d’expériences impliquant notamment des techniques de correction génique et le recours aux autres modèles de la même pathologie.

Ce paradigme a permis aux équipes d’I-Stem de découvrir de nombreux mécanismes pathologiques. Il présente toutefois quelques limitations, biologiques et techniques. En ce qui concerne les ressources biologiques, il faut d’abord souligner que certains protocoles de différenciation nous ont longtemps échappé, l’exemple le plus frustrant ayant été la différenciation en fibres musculaires squelettiques, que nous n’avons maîtrisé qu’à la fin de la période couverte par ce plan stratégique en adaptant les protocoles mis au point par la société australienne Genea Biocells. Nous avons déjà signalé plus haut la fiabilité relative des lignées de cellules iPS liée, notamment, à l’existence d’anomalies épigénétiques associées à la reprogrammation, qui déforment parfois de façon aléatoire certains mécanismes moléculaires que nous ne devons pas confondre avec une atteinte pathologique. Un autre problème qui peut se poser dans certaines pathologies est lié à « l’âge » théorique des cellules, qui représente un stade développemental très précoce, que l’on peut grossièrement caractériser de fœtal. Certaines pathologies monogéniques découlent d’anomalies qui n’apparaissent que plus tard, voire à l’âge adulte. Cela n’interdit pas forcément de rechercher des anomalies très précoces, que les cellules parviendraient un temps à contrôler grâce à des mécanismes compensateurs dont l’identification est intéressante parce qu’elle pointe vers des pistes thérapeutiques potentielles. Dans certains cas, en revanche, nous n’avons pas réussi à caractériser des mécanismes moléculaires précocement associés à la maladie et cela nous a conduits à interrompre des programmes (e.g. sur le syndrome de Leigh ou l’ataxie de Friedreich).

La recherche de composés pharmacologiques capables de modifier positivement l’activité de cellules différenciées à partir de cellules souches pluripotentes dérivées de prélèvements effectués chez des donneurs porteurs de maladies monogéniques est à I-Stem la suite logique de l’exploration des mécanismes pathologiques. Cette orientation a été très structurante pour l’Institut tant scientifiquement que techniquement, puisque toutes les équipes poursuivent au moins un programme de ce type.

Des investissements très lourds ont été réalisés pour les soutenir, donnant accès sur le site à un ensemble d’outils très vaste, incluant l’analyse protéique (Odyssey , MacQuant, Biotek Synergy, Clariostar, Ventana), l’analyse moléculaire (Ion Proton, Qiacube, Tape, QuantStudio), la microscopie (MetaSystem, spinning disk, confocal, incucyte, etc…), l’imagerie cellulaire (Bravo, ImageXpress, Leap, Arrayscan, CX7, Hammamatsu), jusqu’à la plateforme semi-industrielle de criblage à haut débit (Biocel 1800, BenchCell) et celle de bioproduction (CompacT SelecT, Fill-It, Cryomed) qui sont emblématiques de la combinaison par I-Stem de l’innovation scientifique et de l’innovation technologique. Une des principales originalités d’I-Stem depuis sa création est en effet la combinaison de recherches biologiques de pointe sur les cellules souches pluripotentes, et de programmes de recherche et développement technologiques destinés à la création des plateformes les plus performantes élaborées, sélectionnées et mises en œuvre par de véritables équipes de recherche technologiques. Les « ingénieurs plateforme » d’I-Stem sont ainsi en même temps des chercheurs, des formateurs et les gérants des instruments dont ils ont la responsabilité. Ils assument également la veille technologique dans chacun de leurs domaines, afin d’être à même de proposer au Conseil de Direction de l’Institut les aménagements et, parfois, les bouleversements nécessaires. Certains équipements sont entièrement gérés par ces ingénieurs spécialisés. Un effort constant a toutefois été réalisé pour que les équipes aient elles-mêmes accès aux instruments grâce à une formation spéciale qui nécessite souvent un encadrement attentif de la part des ingénieurs plateformes.

Médecine régénératrice

La recherche de méthodes permettant de remplacer des cellules perdues du fait d’une pathologie génétique par d’autres, saines, produites entièrement en laboratoire a été, depuis la naissance d’I-Stem, un axe de travail extrêmement actif. La thérapie cellulaire exige l’identification de protocoles de culture qui aboutissent à la production de populations cellulaires exactement similaires à celles que l’on souhaite remplacer. La qualité de la différenciation est donc un pré-requis absolu. Cet objectif est d’autant plus compliqué à atteindre qu’il doit être conjugué avec un impératif d’homogénéité qui n’est pas, le plus souvent, abordé en tant que tel dans les protocoles mis au point par d’autres équipes. A cela s’ajoute la nécessité d’une production souvent massive de cellules. Certaines techniques de différenciation ne permettent pas cette « amplification » qui est obligatoire pour des approches de thérapie cellulaire, lorsqu’on vise à proposer un traitement susceptible d’être appliqué chez l’ensemble des patients qui en ont besoin, même dans le cas de la plupart des maladies rares. Enfin, et c’est une préoccupation particulièrement aiguë pour des applications de thérapie cellulaire, les protocoles de production doivent être transférables dans des établissements pharmaceutiques que régissent les règles dites de GMP (Good Manufacturing Practice) en grade clinique. Cela impose dans tous les cas une adaptation systématique des protocoles définis dans les conditions de la recherche expérimentale – qui visent d’abord à obtenir des produits efficaces – de façon à les rendre compatibles avec une utilisation chez l’homme – c’est-à-dire parfaitement inoffensifs – sans perte de l’efficacité biologique et clinique.

Les programmes conduits par les équipes d’I-Stem sont arrivés à maturité dans deux cas, celui de la production d’épiderme pour le traitement d’ulcères cutanés liés à la drépanocytose (programme PACE) et d’épithélium pigmentaire rétinien pour le traitement de rétinites pigmentaires (programme STREAM). Un troisième produit, les neurones moyens-épineux du striatum pour le traitement de la maladie de Huntington, est moins avancé dans la progression des études pré-cliniques.

Les programmes en cours sont fondés sur des lignées de cellules souches embryonnaires. Ce choix s’est imposé jusqu’à récemment du fait de la fiabilité reconnue de ces lignées cellulaires par rapport aux cellules iPS. Il existe toutefois un doute sérieux sur le potentiel de ces cellules après transplantation à moyen et long terme, lié à l’absence de toute considération d’un éventuel rejet immunitaire de la greffe. Si un tel rejet devait mettre en péril la survie des cellules greffées à un moment où cela compromettrait leur effet bénéfique, il faudrait alors envisager d’autres stratégies. Nous nous en sommes préoccupés au cours de la période couverte par ce 3ème plan stratégique dans le cadre du réseau international GAiT (global alliance for iPS therapy) qui vise à créer des banques de lignées cellulaires iPS provenant de donneurs que leur patrimoine génétique rend particulièrement utile pour contourner la réponse immunitaire (haplotypes dits « triple homozygote » qui ne présentent que 3 marqueurs cellulaires antigéniques au lieu de 6). I-Stem est associé à l’équipe E-STEAM d’AnneLise Bennaceur-Griscelli qui est en train de construire une telle « haplobanque » à Evry.